AFRIQUE : 17 mai 1997-17 mai 2022: la RDC se souvient, 25 ans après Mobutu
17 mai 1997-17 mai 2022, vingt-cinq ans depuis la fin du pouvoir de Joseph-Désiré Mobutu, après trente-deux ans de règne sans partage, sur un territoire quatre fois plus grand que la France. Le 17 mai, c’est aussi l’anniversaire de l’arrivée au pouvoir de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), conduite par Laurent-Désiré Kabila et appuyée par les troupes rwandaises et ougandaises.
Mai 1997. Le pouvoir ou ce qu’il en reste vit ses derniers jours. Mobutu décide de jeter ses dernières forces dans la bataille, espérant grappiller quelques semaines ou mois. Il érige un dernier verrou à Kenge, à presque 250 kilomètres de Kinshasa. Il fait venir des combattants angolais en appui aux Forces armées zaïroises. Après presque une semaine de combat, le verrou saute, la Route nationale N°1 (RN1) est dégagée. La fin approche, mais Mobutu ne veut pas quitter Kinshasa. Les diplomates en poste dans la capitale lui font comprendre qu’il n’y a plus rien à espérer. Mais lui, conscient que les jeux sont faits, décide de mourir, disent ses collaborateurs, arme à la main.
Il faut l’insistance de sa famille biologique pour qu’il accepte de prendre l’avion ce vendredi 19 mai. L’opération est gérée par le cercle fermé de Mobutu. Certains membres du gouvernement ne sont pas au courant. Finalement, l’avion du Maréchal décolle. Destination Gbadolite, chez lui, au nord du pays.
« Il aurait pu le faire plus tôt. Il avait pris l’option de mourir à Kinshasa. C’est en dernière minute qu’il a pris cette décision sous pression de sa famille pour aller à Gbadolite. Là non plus, ce ne sera pas possible. Ses propres troupes ont voulu s’en prendre à lui. Il va devoir finalement quitter la ville et se rendre au Togo, puis au Maroc », relate l’historien Isidore Ndaywel è Nziem, auteur de plusieurs ouvrages de référence.
Organiser l’après
Mobutu parti, les caciques du régime vont tenter d’organiser l’après-Aigle de Kawele (l’un des surnoms du président, NDLR). Ce vendredi-là, Tryphon Kin-Kiey Mulumba, dernier porte-parole du gouvernement dirigé par Norbert Likulia Bolongo Lingbangi, est parmi les rares ministres qui sont arrivés au siège de la primature. Il sait que l’heure est grave, mais il ne se doute point que c’est la fin de tout : « Je me rends à l’hôtel du Conseil. Il n’y a ni Premier ministre ni général. J’apprends que tous se sont rendus à l’aéroport pour dire au revoir au maréchal. Moi et les personnes qui étaient présentes, nous avons attendu jusqu’à 12 heures quand les ministres sont revenus. Le Premier ministre va alors m’appeler dans son bureau. Devant le chef de l’armée et celui des services de renseignement. Il va me demander de faire le compte rendu d’un Conseil des ministres qui n’a pas eu lieu et sans qu’il ne me fournisse la moindre donnée. « Tu as le cerveau. Tu es intelligent », me dira-t-il. »
Journaliste à la plume respectée et patron du journal Le Soft, Tryphon Kin-Kiey Mulumba griffonne un texte et le fait valider par Norbert Likulia Bolongo Lingbangi avant de le lire devant la meute de journalistes rassemblés à l’Hôtel du Conseil : « J’ai dit, dans le texte, que le gouvernement avait décidé de passer le pouvoir à Monseigneur Laurent Monsengwo, qui était le président du Haut Conseil de la République, Parlement de transition. »
Les médias s’en mêlent. La nouvelle fait le tour du monde et un climat pesant se propage dans la ville. Les rebelles sont aux portes de Kinshasa.
« En apprenant la nouvelle de la fuite du président, je n’étais pas étonné. Il lui était arrivé ce qui devait lui arriver, exactement comme ce qui se passe ailleurs en pareille circonstance, comme avec Sékou Touré, par exemple », estime l’historien des mentalités Jean-Richard Kambayi Bwatshia. Cet ancien ministre de l’Enseignement supérieur, universitaire sous Mobutu, écrira plus tard L’illusion tragique du pouvoir, en référence à cet épisode de l’histoire congolaise.
« Départ pathétique »
Loin également d’être étonné, l’écrivain et critique littéraire André Yoka Lye Mudaba est resté songeur : « J’ai trouvé son départ pathétique. Je ne trouve pas d’autres mots. Quelqu’un qui a vécu pendant trente-deux ans au pinacle du pouvoir et qui finit par prendre la poudre d’escampette de cette manière. Pour nous tous, c’est une méditation sur la définition et la destination du pouvoir ».
Mobutu parti, ses collaborateurs sont comme groggy. Durant quelques heures, il y aura comme un vide dans l’organisation du pouvoir. « Dans la salle du Conseil, tout le monde était debout. Quelques minutes plus tard, les services se sont mis en branle pour organiser les départs des ministres pour Brazzaville. À l’époque, je ne comprenais rien et de ce qui se passait », explique encore aujourd’hui Tryphon Kin-Kiey Mulumba qui avait tenté de rester dans la ville. Le lendemain, ses collaborateurs l’en dissuadent. Il embarque alors dans une voiture d’un des journalistes de son journal et tente de quitter Kinshasa par la route, sans succès. « Des chars de nos militaires revenaient de Bandundu. On ne pouvait plus continuer ». C’est par le fleuve Congo qu’il atteindra Brazzaville.
Cette nuit de vendredi sera longue. Le lendemain, la ville se réveille avec la nouvelle de l’assassinat du chef de l’armée, le général Donatien Mahele Lieko Bokungu au camp militaire Tshatshi.
« Armée minée par la corruption »
« Il avait pour rôle de protéger Kinshasa, se rendant compte que les troupes zaïroises étaient incapables de résister pour diverses raisons. L’armée était minée par la corruption. L’armement était hétéroclite. Les pièces achetées ne correspondaient pas aux armes. Il n’y avait aucune chance de résister. Le général Donatien Mahele Lieko Bokungu avait pris l’option de négocier pour une entrée en douce des forces de l’AFDL. Il avait demandé, en dernière minute, aux troupes de ne pas combattre. Ce geste a été considéré par certains comme de la traîtrise. C’est pour cela qu’il s’est fait descendre par les troupes », explique l’historien Isidore Ndaywel è Nziem.
Dès l’aube, les « Kadogos » (surnom donné aux enfants soldats de l’AFDL) et les militaires rwandais et ougandais entrent dans Kinshasa sous l’applaudissement des Kinois.
« Tout le monde était épuisé, y compris dans le pouvoir mobutien. Les gens avaient envie de changer d’air », se souvient Yoka Lye Mudaba. C’est ce qu’a également constaté Kambayi Bwatshia : « Le peuple en avait marre de la dictature. Il était empêtré dans la pauvreté et le chômage. À l’époque, certains disaient qu’ils pouvaient même accepter un chien, mais plus de Mobutu ».
La nouvelle de l’arrivée des troupes de l’AFDL arrive à Gbadolite, mais le maréchal tente de résister une fois de plus, toutefois pas pour longtemps. « L’histoire raconte que les militaires de la Division spéciale présidentielle (DSP) se dirigeaient vers sa résidence en chantant. Lui, il refusait de partir, décidant de mourir dans son pays. C’est presque de force qu’on l’a embarqué. Il était malade. Il était presque à l’article de la mort. Il se savait condamné », renchérit Tryphon Kin-Kiey Mulumba.
« Révolution », un mot devenu quasiment tabou
Le 17 mai est, depuis, un jour férié en RDC. La journée a pendant longtemps était célébrée comme journée de « libération ». Le maître mot était « libération ». Aujourd’hui, l’histoire bégaie. Le mot « révolution » est devenu quasiment tabou. Le 17 mai est désormais célébré comme la Journée des Forces armées de la RDC. « La révolution, c’est d’abord un terme astronomique. C’est faire le tour complet d’une chose. C’est faire en sorte que le versant intérieur devienne le versant extérieur. Nous n’avons pas connu une révolution. Nous n’avons pas connu une révolution. C’était une espèce de changement dans la continuité », explique Isidore Ndaywel è Nziem.
Jules EPOH