Au Pays basque, la crise du logement électrise la campagne des législatives : « Il faut que les politiques se bougent les fesses »
Alors que les prix flambent et que les locations à l’année sont de plus en plus rares, les habitants de la côte basque mettent la pression sur les responsables politiques pour résoudre leur « problème numéro un ».
« Venez, je vais vous montrer où j’habite. » René, 64 ans, nous fait monter à l’arrière de sa Dacia Sandero toute neuve. Le siège du passager avant est recouvert de sacs en plastique. Après quelques virages entre de belles maisons basques aux liserés rouge, bleu ou vert, le sexagénaire se gare sur un parking vide, devant le cimetière du quartier Manchulas de Bidart, l’une des stations balnéaires les plus prisées des Pyrénées-Atlantiques. « Tous les soirs, je me gare ici pour dormir », lâche l’ancien militaire, devenu éboueur par intérim.
Comme beaucoup ici, René louait un petit appartement dans le coin. Et comme beaucoup ici, il a dû le quitter parce que les propriétaires ont décidé de vendre. Depuis la crise sanitaire, les prix ont augmenté de 15 à 20% dans la région. C’est comme ça que la descente aux enfers a commencé pour René, jusqu’à se terminer sur la banquette arrière de sa voiture, alors que son dos est déjà cassé par ses longues tournées à l’arrière d’un camion poubelle. « Hier soir, j’en ai chié. Il faisait une chaleur de dingue. Je suis allé faire un tour dehors, j’ai pris quatre cachets et j’ai réussi à dormir un peu », confie pudiquement cet ancien Normand, encore en uniforme d’éboueur. Il répète inlassablement : « Je ne suis pas tout seul dans cette merde. Il n’y a pas que moi. »
Depuis une trentaine d’années, la côte basque française connaît une pression foncière et immobilière phénoménale, liée à son attractivité touristique toujours plus forte. Ajoutez à cela la démocratisation du télétravail et le retour à la nature post-Covid de nombreux citadins et vous obtenez le cocktail qui a vu les prix de l’immobilier s’emballer, sans que plus personne ne semble en mesure d’enrayer le phénomène. A Biarritz par exemple, un studio de 25 m2 atteint facilement les 250 000 euros à la vente (soit 10 000 euros du mètre carré) ou les 600 euros mensuels en location. Des tarifs comparables à ceux de Paris.
« Ici, le problème numéro un, ce n’est pas l’emploi, ce n’est pas la santé, c’est de se loger dignement », résume Benat Etchebest, fondateur de la coopérative de logements Etxalde. Et face à cette crise, les Basques sont bien décidés à mettre la pression sur les politiques, alors que les législatives approchent à grands pas (les 12 et 19 juin).
Une crise « encore plus vive » qu’il y a cinq ans
« J’ai contacté 25 mairies du Pays basque. Maintenant, je vais passer aux députés », lance Tiphaine. L’animatrice de 35 ans a reçu une promesse d’embauche à la mairie d’Hendaye, mais elle ne trouve pas d’appartement adapté à son conjoint en fauteuil roulant et leurs cinq enfants. « Pour mon vote, je prendrai en compte leurs propositions sur le logement », prévient la trentenaire. « Il faut que les politiques se bougent les fesses », renchérit Sophie, agente municipale au cimetière de Biarritz. « Mon fils m’a appelé aujourd’hui pour me dire : ‘T’inquiète maman, il fait beau, je vais dormir sur la plage' », s’insurge la quinquagénaire, tatouage floral sur le bras.
« Les habitants viennent très souvent frapper à la porte de ma permanence pour me signaler des problèmes de logement », reconnaît Vincent Bru, le député sortant de la 6e circonscription des Pyrénées-Atlantiques, entre Hendaye et Biarritz. Celui qui se représente avec l’étiquette de la majorité présidentielle assure avoir pris la mesure de la crise, « encore plus vive qu’en 2017 », quand il avait été élu pour la première fois à l’Assemblée.
Les autres candidats aux législatives dans le Pays basque affirment aussi avoir reçu le message. « Je sais bien que tout est bouché, il y a 17 000 demandes de logements sociaux dans le département », énumère Sandra Pereyra-Ostanel, candidate de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) de la circonscription voisine. Cette fonctionnaire à l’aide sociale à l’enfance a elle-même été confrontée à ces difficultés d’accès, avant de devoir se rabattre sur le parc privé.
Mais elle n’est pas la seule sur le créneau à gauche. Le petit parti basque EH Bai compte bien faire entendre sa voix jusqu’à l’Assemblée. « Le droit d’avoir un logement doit passer avant le droit d’en avoir deux », scande l’une des candidates, Mathilde Hary, en reprenant l’un des slogans de la campagne. « On est en train de vider la côte basque de ses habitants », renchérit son camarade Peio Dufau, candidat dans une autre circonscription. « Il faut changer les règles du jeu. »
« Camping des baux frauduleux »
En coulisses, les militants associatifs s’activent pour occuper le terrain. Un rendez-vous discret a été donné, mercredi 18 mai, devant la mairie de Bayonne. Aucun détail n’a filtré de l’association Alda qui se bat pour défendre les intérêts des habitants. En quelques minutes, des dizaines de militants montent un « Camping des baux frauduleux » devant la sous-préfecture des Pyrénées-Atlantiques. Tout y est : des tentes, un fil à linge, une plancha… et des travailleurs précaires contraints de vivre dehors à défaut de trouver un logement. « On interpelle les élus avec des propositions pour obtenir des résultats. Et s’ils ne tiennent pas leurs engagements, on les dénonce », explique Xebax Christy, coprésident de l’association Alda.
Pendant la saison estivale, la crise du logement au Pays basque se transforme en mission impossible pour les saisonniers et les travailleurs locaux. « L’été, les prix des locations à la semaine sont plus élevées que les loyers mensuels le reste de l’année », explique Sarah Hugo, agente immobilière à Biarritz. Alors, pour pouvoir profiter de cette manne, certains n’hésitent pas à jouer avec la loi. « Quand je suis arrivé au Pays basque, la propriétaire m’a fait signer un bail étudiant, valable de septembre à juin, alors que j’avais fini mes études depuis plusieurs années », raconte Jeanne, 35 ans. La jeune femme pourrait ainsi se retrouver à la rue, « sans plan B », dans les semaines à venir.
Adrien raconte, lui, une combine différente. Quand ce Basque trouve enfin un petit logement avec sa compagne et sa fille de 3 ans en février dernier, le propriétaire lui demande de rédiger en même temps un préavis assurant qu’il quittera les lieux en juin. « Si je ne signais pas, je n’avais pas le logement, souffle l’apprenti de 23 ans. Maintenant, j’ai peur de rentrer et de retrouver la serrure changée. » Poussette à la main, le jeune homme écume désormais les campings et compare les prix des caravanes.
Des agences taguées, des Airbnb squattés
Face à ces difficultés, la colère monte chez les habitants. « Je commence à avoir les nerfs contre les gens qui dorment dans les Airbnb à côté de chez moi », avoue Samy, serveur à Bayonne. Malgré son CDI et ses revenus qui oscillent entre 1 500 et 1 800 euros net par mois, ce solide gaillard risque de se faire expulser et ne trouve rien pour se reloger avec son fils. « J’en suis à un point où, même quand je reçois une réponse négative, je suis content, parce qu’au moins j’ai eu une réponse », lâche le trentenaire, un œil toujours vissé sur le téléphone, au cas où une annonce immobilière apparaîtrait.
« J’ai aménagé ma voiture avec un matelas à l’arrière, si jamais je me retrouve à la rue. »
Samy, serveur à Bayonne
à franceinfo
Les pancartes des très nombreuses agences immobilières aux alentours confirment la tendance : les appartements vides à louer à l’année sont devenus une denrée extrêmement rare dans la région. « Actuellement, je n’en ai aucun », confirme Sarah Hugo, agente immobilière à Biarritz. « Et quand j’en récupère un, je reçois 40 appels dans les heures qui suivent et je le loue dans la journée. »
La pression immobilière a fini par faire exploser la cocotte-minute sociale du Pays basque. Des agences immobilières sont taguées, des appartements Airbnb sont squattés et, en novembre 2021, près de 8 000 personnes sont sorties dans les rues de Bayonne sous la bannière « Vivre et se loger au Pays ». « Nous voulions faire prendre conscience aux élus qu’il y avait un problème de fond et qu’il existe des solutions politiques pour le régler », explique Xebax Christy, coprésident de l’association Alda, qui avait co-organisé cette démonstration de force inédite. Les premiers résultats n’ont pas tardé à arriver.
Le 5 mars, la communauté d’agglomération du Pays basque a approuvé à une très large majorité une mesure choc : le propriétaire d’un meublé touristique devra désormais louer parallèlement un autre bien de même surface, à l’année. « Une grande victoire », pour l’association Alda qui militait pour cette mesure de compensation, déjà existante dans certaines grandes communes touristiques. « Pour la première fois, les élus de tous bords ont pris une initiative globale », se félicite également Benat Etchebest, responsable de la coopérative Etxalde. Avant d’ajouter : « Mais ce n’est que le début de la bataille. »
« Maintenant, on doit changer les lois »
La suite de la lutte se déroule pendant la campagne des législatives qui commence. « Maintenant, on doit changer les lois, et ça, ça se passe par l’Assemblée nationale », affirme Peio Dufau, candidat dans la 6e circonscription des Pyrénées-Atlantiques. Le militant basque s’est lancé dans sa première élection en solo avec le parti de gauche indépendantiste EH Bai. « Je vais être cash : les députés n’ont rien fait. On a perdu cinq ans alors que la situation s’est dégradée de manière exponentielle », lance le quadragénaire en polo mauve, syndicaliste à la CGT des cheminots.
« Les pouvoirs publics ont perdu la main sur les prix des logements. Les mairies sont incapables de préempter un bien qui se vend. D’où la nécessité de légiférer. »
Peio Dufau, candidat EH Bai aux législatives
à franceinfo
La candidate de la Nupes Sandra Pereyra-Ostanel n’est pas plus tendre. « Cette crise est liée à l’immobilisme des politiques depuis trente ans sur le logement, c’est eux qui portent la responsabilité de ne pas avoir anticipé le problème », affirme-t-elle derrière ses larges lunettes rectangulaires.
Face à ces mises en cause, le député sortant défend son bilan. « J’ai déposé des amendements sur l’encadrement des loyers en zone tendue et j’en ai même discuté en tête-à-tête avec [l’ancienne] ministre du Logement, Emmanuelle Wargon », soutient Vincent Bru, installé dans le salon du Novotel de Biarritz. Le centriste veut mettre « tout le monde autour de table, au-delà des divergences politiques » afin de discuter des mesures à prendre pour résoudre la crise du logement.
Un statut de résident basque ?
Une proposition radicale fait déjà débat dans la campagne : la création d’un statut de résident, comme en Corse. « C’est notre axe de campagne prépondérant. On veut prioriser les gens qui vivent sur le territoire, d’où qu’ils viennent, pour pouvoir acheter un logement », explique Peio Dufau. Mais le projet est loin de faire l’unanimité, même à gauche. « Je ne veux pas opposer les gens entre eux ! », tempête Sandra Pereyra-Ostanel.
Tous les candidats s’accordent tout de même à dire qu’un chantier législatif doit avoir lieu sur la fiscalité de l’immobilier. « Il faut encourager les propriétaires à louer à l’année, avec des mesures incitatives. Et non pas favoriser fiscalement la location de meublés touristiques, comme c’est le cas aujourd’hui », résume Xebax Christy. L’attente envers l’Etat est grande dans la population. « Tous les jours, je regarde les annonces sur mon portable. J’ai fait plus de 10 000 km en quatre mois pour des visites sans réponse », souffle René, en triant ses dossiers administratifs dans le coffre de sa voiture. « Je me bats déjà pour garder mon travail, mais me battre pour avoir un logement social, je ne peux plus. »
Jules EPOH : 699 92 70 54 / 683666373
Source : FRANCINFO